41 jours 10 heures 57 minutes et 7 secondes dans ma vie d'après l'amitié phare. Quarante et un jours à faire profil bas, à rester muette, exception faite de quelques poèmes obscurs. Quarante et un jours à espérer quand même un message de sa part.
Quarante et un jours à me dire que c'était impossible que dix ans d'amitié se terminent ainsi. Pourtant, son dernier courriel était éloquent, peuplé de points finaux et de fins de non-recevoir. Et ces mots, encrés depuis dans ma peau, indélébiles malgré des nettoyages coriaces: ''Je ne te veux plus dans ma vie.'' Ces mots qui sonnent comme nombre de nos querelles passées, lorsque la colère qui la prenait d'assaut semait des barrières pour ne pas envenimer les blessures. Ma peur du rejet qui réagissait toujours fortement, me tordait, me roulait en boule jusqu'à ce que je puisse respirer à nouveau, quémandant une reprise de contact, une pacification.
Cette fois, je n'ai tendu aucune perche au-delà de sa fin. C'était impossible. ''Ne me réécris plus, abstiens-toi de me recontacter. Fiche-moi la paix''. C'est ce qui ressort de mes lectures de ce dernier échange, message lu tant et tant fréquemment que je pourrais presque le réciter par cœur, tellement je l'ai analysé, dans l'optique d'y lire une ouverture subtile, qui m'aurait échappée dans la lecture d'avant.
J'en suis donc là. Comme assise sur un banc de parc,après avoir regardé ma montre maintes et maintes fois, me disant que l'autre est en retard, que l'autre, finalement, ne viendra pas, et que je ne saurai jamais pourquoi, accepter qu'il me faudra me faire mon propre récit de sa disparition.
Mais n'est-ce pas trop facile, que de lancer mes réflexions et mes ressentis sur cet espace qui m'appartient ? N'est-ce pas faire un raccourci sur la vérité que de n'offrir qu'une seule version des faits ? Sans doute. Mais je ne souhaite pas faire le procès d'une amitié déchue, plutôt, faire de ces libellés thématiques un travail de deuil, pour arriver à tourner la page comme elle le fait. J'ai lu de nombreux livres sur la rupture, écouté plusieurs podcasts sur la séparation, les relations saines, toxiques, toutes les déclinaisons de formes d'attachement possibles. Je réalise, surtout, que je ne pourrai pas traverser cette épreuve ( une épreuve de l'ordre du marathon, sans doute, ou même de l'ultra-marathon) sans l'usage de l'écriture. Mon unique journal intime ne peut contenir tout le flot qui m'habite, il dégouline d'émotions denses, il demande du repos, me supplie de cesser de le bombarder de cette unique thématique. Et puis, peut-être quelqu'un d'autre pourrait tomber sur ces écrits en arpentant internet, comme j'ai pu le faire, peut-être ces mots trouveront-ils un écho auprès de comparses de deuils du même type.
Évidemment qu'il aurait été intéressant d'avoir un texte à deux voix, mais elle a été claire : mon existence ne la concerne plus, alors chers lecteur.trice.s, il vous faudra vous contenter de mon humble plume.
Un aveu, pour débuter: Je me tape un peu moi-même sur les nerfs, dans cette démarche. Qui voudrait lire le cheminement de deuil amical d'une femme adulte, qui a déjà son lot de responsabilités quotidiennes ? Comment faire de la place dans ma vie, entre la rentrée scolaire qui s'amorce et le travail, entre mes nombreux projets, mon entrainement, et la vie, globalement? Et pourquoi écrire?
Parce que je ne peux me résoudre à ne pas tout analyser dans le détail. Parce que je dois trouver un minimum de sens à tout cela.
Qui suis-je donc, outre être une autrice d'un blog inconnu ? Je n'ai pas le profil type de la personne sociable, je suis en quelque sorte une introvertie capable d'extraversion momentanée, j'ai bien eu quelques amitiés en cours de vie, mais aucune n'avait jamais auparavant pris cet espace mental et émotionnel.
Une amitié fusionnelle, donc, qui s'est tissée entre une femme forte et audacieuse ( elle) et une autre, plus effacée, certes colorée, mais avoue-le, clairement plus conformiste, depuis que le train de la vie adulte l'a frappé( moi). Nos premières années étaient donc profondes et enrichissantes, je crois assez mutuellement. Puis, une dynamique s'est sournoisement posée, entre son désir de preuves plus claires de l'amitié, et mes fréquentes envolées de papillon, un peu naïves. Je croyais pouvoir maintenir nos liens, avec la profondeur souhaitée, tout en poursuivant mon petit bonhomme de chemin en parallèle, nouant d'autres liens, plus épars, d'autres amitiés satellites, qui ne me semblaient pas atteindre le noyau fort que nous avions bâti.
J'imagine que son cœur s'est lassé de devoir nommer ses besoins sans qu'ils ne se matérialisent et que le mien s'est usé, aussi, d'être reviré de bord, alors qu'il ne cessait pourtant pas d'aimer, ni en intensité, ni en temporalité.
Seulement, voilà ce qui a pu atteindre le lien récemment, cristallisant les ruptures précédentes : Le réel. Le réel cru et froid, celui de résider loin de ma famille, celui d'accompagner à distance et tâtons ma mère atteinte d'un cancer. Le réel qui me dardait déjà de culpabilité d'être une fille médiocre, une mère moyenne. Ce réel n'a pas su, vers la fin, accuser d'autres tort, ni prendre la responsabilité d'une amitié momentanément plus distante.
Parce que malgré ces quarante et un jours, je tendrais encore la main, si elle acceptait magiquement d'accueillir mon rythme amical, pas toujours soutenu au quotidien dernièrement, mais présent et désireux d'avenir.
C'est dire à quel point je ne sais pas tourner la page.
Les insultes et les pages arrachées blessent, mais ne semblent pas avoir effacé mon désir de partage. Elle est encore dans les détours de ma tête, dans ces anecdotes nombreuses qui ne trouveront d'oreilles attentives qu'auprès d'elle. Après tout, une part de moi attend encore sa meilleure amie, sur ce banc fictif où on devait se retrouver, jusqu'à devenir vieilles et séniles, mais ensemble, joyeusement.
C'est un peu tout cela que j'étendrai sur la feuille virtuelle, jusqu'à accepter l'inévitable rupture, et à enterrer toutes les promesses arrivées à échéances, tous les projets en duo devenus caduques. J'entre ici dans un réalisme qui m'est inconnu, grande déesse du déni que je peux être : cette amitié n'est plus, et je dois trouver un chemin de reconstruction, sous peine d'une mort psychologique. ( J'écris ces mots, et une petite voix murmure'' tu es certaine, tu es certaine que c'est la fin?'' ).
Ainsi s'amorce mon cheminement.
Les ombrelles Lourdes du poids Des gouttes qui désaltèrent Des abreuvoirs pleins De reflets à siroter La verdure de la cour Comme autant de points d'eau Pour le vivant Je pourrais rester là Des heures durant À espionner ce qui pousse Le froissement des feuilles Qui se délient La rotation lente Des stigmates en éveil Les fleurs savent dire Les fragilités de la joie
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