Je n'avais pas reconnu sa voix.
La première fois, je gérais un enfant en poussette qui avait fait caca dans ses pantalons et un grand de maternelle qui grimpait les butes de neiges sur le chemin vers la maison.
Il faisait froid, j'avais gardé le téléphone en main assez longtemps pour que mes doigts en soient glacés, lorsque j'avais raccroché, encaissant l'annonce: mon dossier avait stagné, l'infirmière n'avait pas rempli le bon formulaire.
J'avais ragé. Contre un système inadéquat, l'absence de médecin de famille, la liste d'attente elle-même en attente d'être prise en considération par un diplômé généraliste. Faute de mieux, après que toutes les portes eurent claqué, j'avais sorti ma carte de crédit.
Ça devait être simple. Un appel, une super infirmière, de superbes pilules approuvées par un médecin en haut de l'arbre hiérarchique.
Mais..... non.
Antécédents familiaux, pas de prise en charge, merci, bonsoir. Mais on vous place en liste d'attente pour un psychiatre.
Il a fallu attendre la fin des festivités, le retour au travail des humains derrière l'effroyable machine.
Entendre sa voix retentir, comme l'eau en apparition au milieu du désert.
- Vous aurez rendez-vous par téléphone, je pourrai évaluer votre dossier, et le psychiatre vous recontactera.
-Dans combien de temps, environ?
-Ça peut prendre des mois, vous savez, vous êtes classée D sur l'ordre de priorités.
Et plusieurs mondes d'espoir qui s'écroulent. Système de cotation inversé. J'aurais été prête à feindre l'attaque d'extra-terrestres, la possession de mon corps par Elvis ressuscité, tout, je vous en prie, pour avoir enfin un foutu diagnostic...
Mais non. Votre souffrance, madame, ne compte pas. Votre voix ne sera pas entendue, puisque dans cette apocalypse des temps modernes, les corps se tordent de douleur devant les portes du réseau de la santé, et votre petit mal-être est justement trop ténu pour tenir tête à la marée de désastres mentaux qui submerge le bateau.
D....Comme débrouillez-vous donc toute seule....
Mon père, en situation de crise, avait doucement érigé une corde solide pour soutenir tout son corps. Il s'est tué dans le silence lourd de l'abandon.
Moi, j'attends docilement, je brode mon malheur à coup de laine colorée. Pis j'attends. J'attends.
Mais...pourquoi au fait, je m'inflige cela?
Je ne veux pas de métro-boulot-dodo
Je ne veux pas jongler avec encore plus de charges mentales
Je ne veux pas éteindre mon âme pour un fonds de pension généreux
La planète se meurt
Je veux vivre
Aimer
Créer
Qu'importe, alors, d'avoir l'humeur inégale, la sensibilité en floraison continue et la tristesse comme parapluie?
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